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15 avril 2009 3 15 /04 /avril /2009 19:13

En réponse à Kévin, voir
LA ZONE, LA DEMAGOGIE ET L'HYPOCRISIE ,
 je vous transfère un article écrit par La Verdoyante.

Commentaire de Kévin:

Oui tu as surement raison Alice en disant que le film de Cantet plait surtout à ceux qui n'enseignent pas. Je portais sur ces deux films un regard de spectateur "naif" et non pas un regard d'enseignant (que je ne suis pas !)

  En revanche permettez-moi (à toi et la printanière Verdoyante) d'insister sur les différences entre ces deux films (je crois avoir besoin d'éclairage). A priori, le principal défaut de "Entre les murs" est qu'il repose sur une vision erronée de la vie d'une classe. De plus, le professeur (notre cher Bégaudeau) semble incarner une position démagogique et fausse.

  J'aimerais savoir ce qui pour vous relève d'une vision plus juste de la vie de professeur dans "la journée de la jupe"... Hormis le coté cathartique que parait provoquer la situation de prise d'otage.

  Peut-être que faire un film sur l'enseignement est tout simplement impossible...



Réponse très circonstanciée de La Verdoyante que j'approuve entièrement :

Je ne pense pas exactement  que « La journée de la jupe » relève d’une vision plus juste de la vie de professeur. Et même, d’une certaine façon, c’est le contraire : il va sans dire que le trait est grossi, puisque tous les problèmes imaginables sont réunis dans une seule classe. A cet égard, « Entre les murs » est plus fidèle à la réalité – c’est pourquoi il m’a tout bonnement ennuyée, alors que « La journée de la jupe » présente l’avantage (non négligeable pour un film) de posséder un scénario.

 

Ce qui me semble erroné dans l’un et réaliste dans l’autre, c’est l’émotion que l’on veut susciter chez le spectateur. Les élèves d’Adjani sont des têtes à claques et, en toute logique, elle a envie de les claquer – et même plus parce que ça fait des mois qu’elle se les farcit, alors que le spectateur ne les connaît que depuis un quart d’heure. Les élèves de Bégaudeau sont aussi des têtes à claques mais lui, le Héros, il est tellement gentil, compréhensif, ouvert, moderne, qu’il n’a pas envie de les claquer. Il est le seul à les écouter et à les défendre, et pour cela il nous est donné (me semble-t-il) comme un modèle de tolérance. Voilà où se trouve la volonté moralisatrice que je condamne : je ne suis pas favorable à l’encouragement du désir de transgression et du refus d’apprentissage des élèves.

Par exemple, quand on leur demande d’écrire leur portrait, ils doivent l’écrire. Prendre une photo de sa mère avec son portable, c’est sans doute très intéressant, mais ce n’est pas le travail qui était demandé et l’élève n’a fourni aucun effort pour cela, il n’a rien appris en le faisant, en un mot il n’a tenu aucun compte de l’existence de l’école. Il a apporté en classe ce qu’il avait déjà chez lui. Dans ces conditions, à quoi lui sert de venir en classe ? Bien plus, en s’extasiant sur cette photo, en valorisant l’élève qui n’a pas fait son travail (au détriment, me semble-t-il, de ceux qui avaient bêtement fait ce qu’on attendait d’eux), le professeur incite les autres élèves à faire fi des consignes, du travail, et de ce que l’école peut leur apporter. Moralité : il y a les imbéciles qui essaient de tirer quelque chose de l’école, et il y a le génie qui est au-dessus de cela, qui n’a rien à apprendre de l’école parce qu’il a déjà tout en lui ; sauf qu’en réalité, ce qu’il a en lui me semble bien pauvre...

 

A cet exemple de rédaction dans « Entre les murs », j’opposerai évidemment le nom de Molière dans « La journée de la jupe ». Le professeur joué par Adjani a décidé qu’aujourd’hui, grâce à un flingue, elle arriverait à enseigner quelque chose à ses élèves. La situation est intéressante pour deux raisons.

D’une part, elle nous montre (d’une façon caricaturale, il est vrai) à quel point il est difficile d’inculquer la moindre culture à certains adolescents : il ne leur faut rien moins qu’un revolver sur la tempe pour qu’ils daignent enfin apprendre un mot nouveau. La mise en forme est excessive, bien sûr (c’est un film), mais cela traduit le sentiment réel qu’on éprouve parfois devant certains élèves, totalement vides et fiers de l’être. On désespère d’arriver à leur faire apprendre quoi que ce soit, et en cela la « méthode » employée par Adjani a quelque chose de jubilatoire, de fantasmatique. Même le merdeux qui « s’en bat les couilles parce qu’il veut être footballeur » finit par le répéter, le vrai nom de Molière. La menace d’une arme semblait être le seul moyen d’obtenir un effort de cet élève : objectif atteint !

D’autre part, pour moi c’est Adjani – et non Bégaudeau – le véritable héros. Elle souffre depuis des années à cause de ses élèves et, quand elle a dans les mains un moyen radical de se défouler, elle l’utilise à des fins pédagogiques. Elle pourrait tirer dans le tas, mais non : elle veut seulement leur apprendre le nom de Molière. C’est beau. Elle ne perd jamais de vue ce qu’elle vit comme une mission. Elle place la transmission du savoir sur un piédestal – alors que Bégaudeau ne s’en soucie pas plus de que colin-tampon. En cela aussi, « La journée de la jupe » relève d’une vision plus juste bien qu’excessive : j’ai fait des études de lettres, pas d’ethnologie ; je suis devenue prof par intérêt pour Molière (notamment), pas pour la banlieue ni pour les vocations de footballeur. Donc je vais en cours non pour savoir ce que les élèves ont fait mercredi après-midi, mais pour qu’eux sachent ce que Molière a fait au XVIIe siècle. Ce qui est réaliste dans « La journée de la jupe », c’est cet espoir sans cesse renouvelé et souvent déçu d’arriver à enseigner. Tout simplement. Adjani a encore cet espoir, alors que Bégaudeau a visiblement baissé les bras. Je suppose que beaucoup de profs ressemblent malheureusement à celui-ci ; mais je suis également convaincue que beaucoup d’autres ressemblent à celle-là et vivent aussi comme une frustration la difficulté d’ouvrir l’esprit des élèves à la culture.

 

En somme, je ne crois pas que « Entre les murs » donne une vision erronée de la vie d’une classe – hélas ! L’atmosphère du film est très proche de ce qu’un prof de collège « sensible » vit au quotidien. Le dessin en est outré dans « La journée de la jupe » parce que c’est un film à proprement parler, avec l’intrigue et les rebondissements nécessaires à l’intérêt du spectateur.  En revanche, le message, l’émotion, la « vision » véhiculée par « Entre les murs » me paraissent démagogiques et faux parce que le héros se satisfait de la situation déplorable, du marasme intellectuel qui règne dans sa classe et qui est en grande partie son œuvre. L’héroïne de « La journée de la jupe » refuse cette situation : elle exprime ainsi des sentiments et des préoccupations que partagent beaucoup d’enseignants.

 

La Verdoyante

 

N.B. : J’ai parlé de « Bégaudeau » et « Adjani » pour désigner leurs personnages par souci de simplification et de brièveté, mais il va sans dire que je ne confonds pas l’acteur et son rôle. Et ce d’autant plus que le livre « Entre les murs » m’avait beaucoup plu pour son réalisme cynique, totalement disparu du film... Mais c’est un autre débat !

 

Lire, pour le plaisir du débat:

La Journée de la Jupe (1)

La Journée de la Jupe (2)
 

 

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commentaires

L
Très intérressant, mais pourquoi cette photo de gamins masqués ? C'est une classe de collège ?
Répondre
A
<br /> Ben , c'est le genre de gamins qui vont au collège ou au lycée dans la zone.<br /> Et certains craignant d'être un jour incarcérés après 80 délits préfèrent ne pas être trop aisément reconnaissables!<br /> <br /> <br />

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  • Passionnée par la frontière entre la norme et l’exception. Trop longtemps enseignante, j'ai rendu les armes plus tôt que prévu et je me consacre à ce que j'aime: l'écriture, les arts plastiques et les débats de société... et ça va chauffe
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